Dans la tête d’une chasseuse de têtes
Temps de lecture 6 minutesÉthique professionnelle, skills convoités, stratégies déployées… Fondatrice il y a six ans du cabinet Lamboley Executive Search, spécialisé dans la quête de profils stratégiques et C-Level, Caroline Lamboley raconte les coulisses du métier de chasseur de têtes.
Elle a franchi le pas en 2018, au sortir d’une première carrière, longue de plus de deux décennies, dans les ressources humaines. D’abord comme HR senior manager chez Deloitte (1998-2012), ensuite en tant que DRH chez BDO (2012-2018). «J’ai voulu créer le cabinet avec lequel j’aurais rêvé de collaborer lorsque j’étais DRH», indique la fondatrice du cabinet Lamboley Executive Search, à Luxembourg, Caroline Lamboley. La chasseuse de têtes a accepté de raconter ce qui se joue dans la sienne, de tête.
Éthique: «Des basiques à respecter»
«Certes, on ne sauve pas des vies. Mais le chasseur de têtes a tout de même un impact significatif sur l’aspect professionnel et personnel des personnes qu’il approche. Je ne vais donc jamais ‘placer’ quelqu’un uniquement pour le ‘placer’. Si je sais que le poste, la culture d’entreprise ou les valeurs recherchées n’entrent pas en adéquation avec le candidat, je ne le propose pas à mon client. Il faut que tout ‘fite’ parfaitement.
Pour moi, il y a des basiques que chacun parmi les chasseurs de têtes ou dans le monde des RH devrait respecter. Mais qui, malheureusement, ne sont pas toujours un réflexe. Lorsque j’étais DRH, j’ai travaillé avec beaucoup de cabinets de chasse et de recrutement. Ce que j’ai observé, c’est qu’il manquait toujours quelque chose pour que la collaboration soit celle que j’attendais. Soit il y avait un défaut de communication, soit les profils ne correspondaient pas aux attentes, soit il y avait un problème de motivation, etc.
Ce qui n’est pas fait assez souvent, c’est une rétroaction constructive. C’est-à-dire fournir des feedbacks aux candidats, même – et surtout! – quand ils n’ont pas été retenus, afin de les aider à s’améliorer et à développer leurs compétences, qu’elles soient techniques ou soft. C’est la base de la relation recruteur ou chasseur de têtes/candidat. J’ai toujours une vision à long terme, cela me permet de construire une relation de confiance avec les personnes que j’ai contactées. Si un candidat n’a pas été retenu pour un poste pour une certaine raison, cela ne veut pas dire qu’il ne sera pas recruté, plus tard, pour un autre mandat sur lequel je travaille. Cela fait partie de la construction de sa marque employeur.
Réseau: «LinkedIn, un autre networking»
«Je suis à Luxembourg depuis 28 ans, j’ai construit un énorme réseau. Networker, c’est rencontrer des personnes qui peuvent être à la fois candidats ou clients. Ou des candidats qui un jour deviendront clients. C’est faire connaître sa société, son métier. Expliquer son approche différenciante.
Avec l’expérience, on comprend que l’on n’a pas le temps d’aller partout et, surtout, qu’il y a des événements plus qualitatifs que d’autres. Je choisis les events auxquels je participe en conséquence.
En parallèle, je compte plus de 12.000 followers sur LinkedIn. Une autre forme de networking. J’écris beaucoup d’articles, de posts. Il y a un décalage entre les commentaires visibles sur mon mur et les messages que je reçois en privé de la part de ceux qui n’osent ni liker ni commenter, de peur de donner leurs opinions publiquement. Si quelqu’un m’envoie un message, je trouve toujours un moment pour lui répondre… Le réseau se travaille avec ces échanges également. C’est un lien.
Caroline Lamboley, fondatrice, cabinet Lamboley Executive Search
Je n’aime pas cette notion de vivier de candidats, car si vivier il y a, il n’est jamais à jour.
L’approche: «Certains sont contactés chaque jour»
«Je ne contacte jamais un candidat potentiel sur une adresse mail professionnelle, je ne l’appelle pas non plus sur son lieu de travail. Trop invasif. Le premier contact s’effectue donc toujours sur une adresse personnelle ou sur LinkedIn. L’approche peut aussi se faire physiquement. Le fait d’avoir une bonne marque employeur est un atout car les personnes que je contacte savent que les postes sur lesquels je suis mandatée sont toujours en exclusivité, et surtout très intéressants. C’est un paramètre important dans un contexte où certains profils sont contactés pratiquement chaque jour.
La personnalisation est également un facteur qui compte. Quand j’entre en contact avec quelqu’un, j’analyse son parcours. Je me renseigne. Beaucoup.
Caroline Lamboley
Si l’on ne m’a pas répondu, je relance. Mais je ne harcèle pas. La première relance intervient au bout de deux semaines, la dernière encore deux semaines après. Je précise alors à mon contact que je ne l’importunerai plus. Et la réponse peut arriver à ce moment-là. Mais en général, la description du profil ayant été bien faite et l’identification également, il n’y a pas besoin de relancer.
Le vivier: «À chaque mission, repartir de zéro»
«On me pose parfois la question: ‘Vous n’auriez pas un CFO sous le coude?’ Non, je n’ai pas de CFO sous le coude, car à chaque mission je repars de zéro. Je peux en revanche avoir déjà des noms en tête, vu le nombre de personnes que j’ai déjà rencontrées et mon réseau.
Je n’aime pas cette notion de vivier de candidats, car si vivier il y a, il n’est jamais à jour. Une personne n’est peut-être plus dans la même situation au mois de juillet qu’au mois de janvier précédent. Donc, vivier, non. À titre personnel, je préfère parler de réseau.
La réputation: «Tout le monde n’est pas irréprochable»
«Des progrès ont été accomplis, mais il existe énormément de cabinets de recrutement/chasse, et force est d’admettre que tous n’ont pas la même éthique et le même professionnalisme. Un exemple… Lorsque j’étais DRH chez BDO, des cabinets m’ont envoyé – alors que je n’avais rien demandé – des CV de personnes travaillant déjà chez BDO! Autre situation: un cabinet qui a débauché l’un de vos collaborateurs et qui vous appelle, ensuite, pour vous proposer un remplaçant… Tout le monde n’est pas irréprochable. Autre faiblesse: certains recruteurs ne comprennent pas toujours les métiers pour lesquels ils recrutent.
Caroline Lamboley, fondatrice, cabinet Lamboley Executive Search
De mon point de vue, la notion de pénurie de talents sert d’excuse à beaucoup de choses.
Le marché: «La concurrence du télétravail»
«La taille du marché luxembourgeois est effectivement un handicap. Il y a longtemps que les entreprises regardent vers l’extérieur. Mais depuis six ans que mon cabinet fonctionne, j’ai toujours eu des clients recherchant des candidats déjà présents au Luxembourg. Parce qu’ils y ont un réseau, qu’ils connaissent la législation, etc. Dans certains domaines, c’est extrêmement difficile de trouver. Sans compter la concurrence nouvelle du télétravail, héritée du Covid, auprès des résidents frontaliers. Avant, chacun devait se rendre chaque jour au bureau et passer un temps interminable dans les bouchons. Aujourd’hui, des frontaliers peuvent vivre à Thionville et travailler pour une entreprise à Paris puisque la législation le permet. Ce sont des gens qui ne viendront donc pas, ou plus, au Luxembourg. Une certaine flexibilité serait nécessaire.
La pénurie de talents: «J’ai toujours trouvé des recrues»
«Pour certaines entreprises et certains métiers, la pénurie de talents est une réalité. Mais, de mon point de vue, cette notion sert d’excuse à beaucoup de choses. Personnellement, j’ai toujours – à deux ou trois exceptions près, pour cause de transfert interne ou de retour du démissionnaire à remplacer – trouvé des recrues pour les mandats m’ayant été confiés. Cela souligne l’importance du travail du recruteur bien sûr, mais aussi l’importance de la marque employeur. Celle-ci est hyper importante. Une société dotée d’une bonne réputation aura toujours plus de facilités à recruter…
Les skills: «Challenger le client»
«Le rôle d’un chasseur de têtes est bien sûr d’accompagner le client. Mais aussi de le challenger. ‘Vous êtes sûr que c’est de cela dont vous avez besoin? Et pas de cela plutôt? – Oui, vous avez raison…’ Au niveau où je recrute, les skills sont là. Vous n’êtes pas devenu CFO sans compétences. Mais je dis toujours aux clients qu’il vaut mieux recruter une personne motivée, dotée d’un bon état d’esprit, avec des valeurs qui correspondent, même s’il y a une lacune technique, plutôt qu’un expert technique n’ayant pas les qualités humaines requises. La lacune technique pourra être comblée. Pas un mauvais fit de culture ou de valeurs.
Caroline Lamboley, fondatrice, cabinet Lamboley Executive Search
Plus de diversité, plus d’inclusion, c’est un des moyens pour travailler sur la pénurie de talents.
La rémunération: «Le salaire reste un argument»
«Lors du premier entretien, je demande au candidat son package et ses attentes. Si son package est complètement hors budget, je le lui signifie et nous arrêtons les discussions. Si ses attentes sont dans le package prévu, la partie ‘négociation’ aura lieu dans un autre step, en collaboration avec le client.
Le salaire reste un argument décisif. Mais d’autres critères entrent en ligne de compte désormais. Bien sûr, personne n’est prêt à réduire son salaire de moitié. En revanche, un effort à la baisse peut être consenti s’il y a de la flexibilité, du télétravail, une place de parking, un plan de pension, ou d’autres avantages. Là, oui, le package peut être discuté. Mais je trouve cela un peu hypocrite lorsqu’on prétend que le salaire, aujourd’hui, n’est plus une priorité.
Les seniors: «Plus de diversité, plus d’inclusion»
«On a besoin des seniors, besoin de leur transmission. Le plus gros de leur carrière est derrière eux, ils maîtrisent leur métier, ont prouvé leur valeur, ils ne sont plus tous en train de se battre pour une promotion. Ce qu’ils recherchent souvent, c’est transmettre, avoir la même vision et les mêmes ambitions que l’entreprise, faire partie de son développement, de sa croissance, de ses succès… Les entreprises qui rechignent à embaucher des seniors, je ne comprends pas. J’en reviens à la notion de pénurie de talents. Regardez un peu plus du côté des seniors, regardez du côté des femmes, regardez du côté des personnes en situation de handicap… Plus de diversité, plus d’inclusion, c’est un des moyens pour travailler sur la pénurie de talents.»
Cet article est paru dans Paperjam, le 6 août 2024.
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