
Travailleurs indépendants, défis et libertés: Regards croisés
Temps de lecture 7 minutesAccumuler les expériences, développer de nouvelles compétences et diversifier son portefeuille … l’image du travailleur indépendant a de quoi séduire. Dans l’Union européenne, plus de 25 millions de personnes exercent une telle activité. Plusieurs raisons sont à l’origine de leur choix : la liberté d’organiser leurs horaires de travail selon leurs envies et contraintes, la possibilité de développer un projet en accord avec leurs valeurs personnelles, et l’opportunité de redonner du sens à leur vie professionnelle. Cependant, derrière cette liberté apparente, se cachent des défis considérables et des obstacles qui demandent une discipline de fer et une grande capacité à naviguer dans l’incertitude.
Caroline Lamboley, chasseuse de têtes et fondatrice du cabinet Lamboley Executive Search, partage son expérience d’indépendante, en mettant en avant les défis et les satisfactions liés à cette voie. À ses côtés, Sophie Pierini, avocate à la Cour indépendante, apporte un éclairage complémentaire sur les réalités de ce choix professionnel. Ces deux entrepreneures engagées livrent leurs réflexions dans un entretien croisé qui explore les multiples facettes du travail indépendant, un sujet qui suscite un intérêt croissant au Luxembourg et au-delà. À travers leurs témoignages, elles offrent des conseils précieux pour ceux qui envisagent de franchir le pas vers l’indépendance professionnelle, tout en soulignant l’importance de la résilience, de la discipline, et de la passion pour réussir dans cette aventure.
Comment définiriez-vous le travailleur indépendant?
Caroline Lamboley: Le travailleur indépendant incarne l’antithèse du salarié classique. Libéré de la subordination à un supérieur hiérarchique, il n’est soumis ni à des horaires imposés ni à la nécessité de demander des congés. En tant que son propre patron, il est maître de son destin professionnel : il gère sa clientèle, fixe ses tarifs en fonction de son expertise et du marché, et choisit librement son emploi du temps ainsi que son environnement de travail.
L’indépendant, comme le suggère son nom, exerce son activité avec une grande autonomie, prenant en charge tous les aspects de son métier, de la prospection à la gestion administrative. Cependant, cette liberté s’accompagne de responsabilités accrues : il doit faire face à l’incertitude des revenus, assurer la pérennité de son activité, et développer des compétences variées pour répondre aux exigences de son secteur. Bien qu’il soit souvent seul maître à bord, cette indépendance est pour beaucoup synonyme d’une grande satisfaction personnelle, permettant d’exercer une activité en accord avec leurs valeurs et ambitions.
Sophie Pierini: Le travailleur indépendant est un héros des temps modernes !
Disposer de solides compétences techniques propre à son corps de métier est indispensable mais loin d’être suffisant. L’humilité, la résilience, l’énergie et la pensée positive sont tout aussi importantes pour relever les multiples défis de l’entreprenariat tels qu’attirer et fidéliser son portefeuille clients, s’adapter à un contexte économique fluctuant, anticiper les imprévus, faire face à une charge règlementaire grandissante, se former constamment, sans oublier de continuer à élargir son réseau professionnel.
Autant de compétences personnelles dont il doit disposer s’il veut pérenniser et développer son entreprise.
Comment percevez-vous l’essor du travail indépendant au Luxembourg?
Caroline Lamboley : Le travail indépendant connaît en effet un véritable essor. Pour cause, les professionnels sont de plus en plus attirés par la flexibilité qu’offre ce statut. Ils peuvent créer leur propre emploi du temps et travailler aux heures qui leur conviennent le mieux, ce qui est un énorme atout pour ceux qui cherchent à équilibrer leur vie professionnelle et personnelle. Cette formule offre également une grande autonomie. Les travailleurs prennent le contrôle total de leur activité, de la gestion des projets à la prise de décisions.
C’est extrêmement gratifiant de pouvoir orienter sa carrière selon ses propres aspirations, sans avoir à se conformer aux directives d’une hiérarchie. Cette liberté de choix peut favoriser un développement professionnel plus aligné avec ses valeurs personnelles. Cette dimension comporte aussi des enjeux. Nous devons être capables de prendre des décisions difficiles, souvent seuls, et d’assumer les conséquences de ces choix. Cela demande une capacité à s’autogérer et à faire preuve de discipline.
Sophie Pierini: L’essor du travail indépendant s’inscrit dans un contexte géographique bien plus large que celui de Luxembourg.
L‘après « covid » a éveillé les consciences et mis au goût du jour une volonté de se développer personnellement, d’exercer une activité en accord avec ses valeurs personnelles et trouver un équilibre entre vie familiale et professionnelle.
Le Luxembourg est un terrain de jeu favorable et encourageant pour celui qui souhaite devenir indépendant. En effet, le tissu économique y est dynamique comparé aux autres pays européens.
Les idées novatrices sont nombreuses, et de plus en plus de jeunes gens créent leur entreprise et s’investissent dans des projets qui leur ressemblent. Cette forme d’entreprenariat courageuse et volontaire devra à l’avenir être encore plus valorisée et facilitée.
La variété des projets semble être un autre avantage attrayant pour les travailleurs indépendants. Comment cette diversité influence-t-elle le développement professionnel?
Caroline Lamboley: La diversité des projets est une opportunité fantastique pour les indépendants d’acquérir de nouvelles compétences et de se développer sur le plan professionnel. En travaillant avec différents clients et sur des missions variées, ils deviennent souvent plus polyvalents et agiles que leurs homologues en entreprise. Cette capacité à s’adapter rapidement à de nouveaux défis est très valorisée sur le marché du travail actuel. La diversité des projets nécessite aussi une capacité d’adaptation rapide. Chaque projet a ses propres exigences, et il est crucial de pouvoir répondre aux attentes de différents clients. Cela demande une certaine flexibilité intellectuelle et une ouverture d’esprit. Pour certains, cela représente un véritable moteur de développement professionnel ; pour d’autres, cela peut être source de stress.
Sophie Pierini: Le dynamisme et le renouvellement constant sont le propre de l’activité du travailleur indépendant. Au fil de ses rencontres professionnelles, il s’enrichit d’expériences diverses et peut ainsi se lancer dans des projets tout à fait inattendus, le poussant à sortir de sa zone de confort.
Cet apprentissage permanent nourrit le travailleur indépendant et lui permet de sortir des carcans qui pouvaient autrefois lui être imposés par son employeur. Gare à ne pas se disperser et rester concentré sur ses objectifs !
Savoir dire « non » à certaines propositions peut parfois sembler contre intuitif mais le développement professionnel passe aussi par des choix et des décisions avisées.
Quels sont les principaux défis du travail indépendant, et quels écueils faut-il éviter ?
Caroline Lamboley: Le travail indépendant, bien qu’il apporte une grande liberté, n’est pas sans défis. L’un des principaux obstacles réside dans l’incertitude financière. Contrairement aux salariés, les freelances ne bénéficient pas d’un revenu fixe, ce qui peut rendre la gestion des finances complexe, surtout dans les premiers mois ou les périodes creuses. Il est essentiel d’avoir une bonne organisation financière et de prévoir une réserve en cas de baisse d’activité.
Il est par ailleurs crucial de ne pas accepter tous les projets sans discernement. Dire non à des missions mal rémunérées ou incompatibles avec ses valeurs est parfois nécessaire pour préserver la qualité de son travail et son équilibre personnel.
Sophie Pierini: Le travailleur indépendant est polyvalent : générer des revenus, développer son réseau professionnel, assurer la gestion administrative et financière de son activité sont autant de défis qu’il doit savoir relever.
A cela s’ajoute, selon l’activité pratiquée, une règlementation lourde qui peut accroître sa charge de travail. A titre d’exemple, les avocats, les experts comptables ou bien encore les professionnels de l’immobilier, sont depuis plusieurs années soumis à de lourdes obligations professionnelles en matière de lutte anti-blanchiment. Ceci leur impose des contraintes administratives chronophages en plus de leur masse de travail quotidienne. Pour gérer et maîtriser tous les aspects de sa vie professionnelle, l’indépendant doit savoir s’entourer de partenaires et/ou de salariés pour continuer à se concentrer sur l’essence même de son activité et gagner sa vie.
La solitude est souvent évoquée comme l’un des revers du travail indépendant. Que pouvez-vous dire à ce sujet ?
Caroline Lamboley: La solitude est en effet un aspect du travail indépendant que beaucoup sous-estiment. Lorsque l’on travaille seul, il peut être difficile de ne pas avoir de collègues à proximité pour échanger des idées, se soutenir ou simplement discuter. Cela peut devenir un facteur d’isolement, surtout pour ceux qui ont besoin d’interactions sociales régulières pour s’épanouir. Ce mode de travail exige donc une grande discipline, mais aussi une capacité à rester motivé sans le soutien direct d’une équipe.
Pour pallier cette solitude, il est important de rejoindre des réseaux professionnels ou de travailler ponctuellement dans des espaces de coworking. Cela permet non seulement de rompre l’isolement, mais aussi de créer des opportunités d’échange, de collaboration, voire de nouveaux partenariats.
Sophie Pierini: La solitude du travailleur indépendant n’est pas une fatalité ! Au contraire, c’est un outil de croissance personnelle et un moteur de développement professionnel puisqu’elle invite l’indépendant à créer des liens et solidarités significatifs avec d’autres entrepreneurs.
Le Luxembourg est riche de réseaux professionnels divers et variés que l’indépendant peut aisément intégrer pour rencontrer ses homologues et partager avec eux ses impressions du moment et ses difficultés quotidiennes.
La liberté, tous azimuts, est un autre aspect attrayant du travail indépendant. Qu’en pensez-vous?
Caroline Lamboley: Pouvoir travailler de n’importe où, que ce soit depuis chez soi, dans un café, ou même en voyage, est une révolution. Cela permet aux travailleurs de mieux concilier vie professionnelle et personnelle. La flexibilité géographique, couplée à la liberté de gestion du temps, favorise un meilleur équilibre travail-vie personnelle. Toutefois, cela demande une grande capacité d’organisation et de gestion du temps. Il faut savoir définir des limites pour éviter que le travail ne déborde trop sur la vie personnelle, ce qui peut parfois être un défi.
Sophie Pierini: La liberté n’est pas synonyme d’absence de contraintes, bien au contraire. Elle n’existe que si le travailleur indépendant observe discipline et rigueur dans la gestion de son temps de travail. En cela, les nouvelles technologies et notamment l’intelligence artificielle constituent de précieux outils améliorant la qualité et l’efficacité du travail de l’indépendant.
La liberté n’est pas seulement une question de gestion du temps et du lieu de travail. Il s’agit également du choix des missions que l’on accepte ou non, de la possibilité d’innover ou de créer.
Cela peut être un terrain de jeu sans limites, raison pour laquelle le travailleur indépendant doit définir son « business model » avec clarté et savoir prendre le recul nécessaire pour prendre les bonnes décisions.
En parlant de liberté, beaucoup choisissent le travail indépendant pour poursuivre leurs passions. Est-ce une tendance que vous observez également?
Caroline Lamboley: Le désir de se consacrer à une passion peut pousser de nombreux professionnels à franchir le pas vers l’indépendance. C’est une démarche qui peut être très épanouissante, car elle permet de donner un véritable sens à son travail, surtout lorsque ce dernier est en phase avec ses valeurs personnelles. Cela peut aussi ouvrir la voie à des carrières atypiques, voire des reconversions. Cependant, il est important que ces passions soient bien structurées sur le plan entrepreneurial. La passion ne doit pas faire oublier les réalités financières et juridiques. Un projet passionnant mal cadré peut rapidement devenir source de tracas s’il n’est pas solidement ancré dans un cadre légal bien défini.
Cela dit, le travail indépendant n’est pas fait pour tout le monde. Ceux qui ne supportent pas l’incertitude ou qui recherchent un cadre stable et prédéfini peuvent avoir du mal à s’y adapter. Devenir freelance demande une résilience certaine, une capacité à s’autogérer, et surtout à être à l’aise avec l’idée de porter seul la responsabilité de son succès ou de ses échecs.
Sophie Pierini: Créer son entreprise pour poursuivre une passion est un challenge de taille ! La passion est le moteur, le pragmatisme est le chemin. Pour réaliser un projet si épanouissant, la passion ne suffit pas. Elle doit être accompagnée d’une force de travail à toute épreuve.
Nous vivons une période incertaine et anxiogène, c’est pourquoi la recherche du bien-être au travail prend une place de plus en plus grande dans nos vies.
Sorry, the comment form is closed at this time.